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Blog de Jerphanion
28 mai 2010

Frank Giroud est un génie

  Pour avoir créé Louis la Guigne, une fresque historique en tous points remarquable, mettant en scène un héros anarchiste au grand coeur dans les années 1920-30, Frank Giroud mérite déjà d'être considéré comme un bon scénariste. Les histoires sont bien ficelées, les personnages très attachants, mais plus que tout c'est une atmosphère qui est décrite par des dialogues on ne peut plus savoureux. Rebelote avec la série Louis Ferchot, la jeunesse du héros dans les années 1900-10, une des rares préquels à avoir autant d'intérêt que la série mère.

   D'autres titres de gloire ? j'avais bien aimé Pieter Hoorn (3 tomes) avec Norma, Eva K. et Mandrill avec Barly Baruti au dessin. Agrégé d'histoire, Giroud sait se tenir au courant des dernières parutions sans se laisser phagocyter par l'évenementiel, qui reste secondaire par rapport à la narration. Dans les deux derniers Ferchot, dessinés en "caméra subjective", de nombreux flash-backs traversent l'histoire : la mère de Ferchot, à la recherche de son poilu de fils, croise en effet de nombreux soldats qui racontent leur calvaire. Par petites touches, se dessine le portrait d'une guerre atroce. On devine l'influence des écrits de Frédéric Rousseau, La Guerre censurée ... Mais la trame principale du récit reste bien la fiction, la quête d'une mère.

   Giroud est un génie de la narration. Le procédé de "caméra subjective" nous fait hésiter jusqu'au bout quant à l'identité du soldat inconnu. Mais il expérimente en bande dessinée d'autres pistes narratives : il s'agit de Quintett, Le Décalogue et Destins.

   Quintett : en 1916, sur le front grec, un orchestre se forme pour soutenir le moral des troupes. Les quatre premiers tomes racontent la même histoire, vue par chaque membre de l'orchestre. Chacun a vécu les mêmes événements, mais en y accordant plus ou moins d'importance. La trame événementielle passe au travers de la subjectivité de chacun. Au passage, belle leçon d'histoire : n'apprend-on pas en fac d'histoire que toute source est subjective ? Le dernier tome est consacré à celui qui, depuis le début, tire les ficelles de cette histoire : celui qui a poussé à la création de l'orchestre et manipule ces êtres humains comme des rats de laboratoire, ou comme un producteur de télé-réalité.

   Le Décalogue : l'histoire d'un livre maudit à travers les âges, depuis sa traduction en anglais, au tournant des années 2000 jusqu'à son écriture au dix-neuvième siècle. Giroud remonte le temps vers la source d'un écrit apocryphe du prophète de l'islam, Mohammed. Le dernier tome nous projette dans le septième siècle, l'époque où le texte du Coran est arrêté. Avec également dans ce récit une interrogation constante : comment s'élabore une "version officielle" d'un texte ?

   Avec Destins, Giroud s'attaque encore à la multiplicité des possibles d'un récit. L'héroïne, Ellen, est confrontée à un dilemme à la fin du premier tome : elle a commis un meurtre aux Etats-Unis dans sa jeunesse et une autre personne (qu'elle déteste) risque d'être exécutée à sa place. Doit-elle ou non se dénoncer ?  Le tome 2 montre qu'elle accepte de faire face à sa responsabilité, le tome 3 développe l'intrigue avec le choix contraire. Les tomes 4 à 7 verront l'intrigue se ramifier et se diversifier en fonction des choix de l'héroïne. On pense évidemment au film Smoking/No smoking, d'Alain Resnais, où la vie de l'héroïne était conditionnée par le choix d'accepter ou non une cigarette. Faire cela en bande dessinée nécessite un gros coup de pouce de son éditeur et surtout la constitution de plusieurs équipes au scénario et au dessin.

   En cela Giroud innove : il a peut-être réinventé une manière de faire de la BD, à l'américaine.

   http://www.auracan.com/Indiscretions/indis.php?actu=278

   http://www.auracan.com/Indiscretions/indis.php?actu=279

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